Le 27 janvier dernier, la cour d’appel de Bruxelles imputait la faillite de la Sabena au non-respect de la convention signée le 1er août 2001 entre Swissair et l’Etat belge. Une lecture attentive de l’arrêt permet de constater que cette condamnation est exclusivement liée à une faute commise dans l’exécution de cette convention et non à une erreur de gestion de la Sabena, dont elle confie prudemment l’examen à la procédure pénale qui suit encore son cours.
Ce faisant, elle reconnaît de facto que la condamnation de la compagnie suisse n’exonère en rien l’actionnaire majoritaire - l’Etat belge – d’une éventuelle responsabilité dans la faillite. Il faut se rappeler que la situation de déliquescence financière dans laquelle se trouvait la Sabena en 2001, si elle trouve ses origines dans la gestion de fait des Suisses, ne peut avoir eu ce caractère mortifère qu’en raison de la complicité, au mieux, passive, des autorités belges.
Swissair serait donc seule responsable de la faillite pour ne pas avoir respecté la convention signée à l’hôtel Astoria : elle aurait commis une faute contractuelle qui, vu le manque avéré de trésorerie de la Sabena, rendait cette dernière incapable de survivre sans les investissements promis. Une relation de cause à effet directe serait ainsi mise en évidence entre les deux faits : il y a eu faillite parce que les Suisses ont commis une faute…
Arrêter ici l’analyse est une erreur grossière puisqu’elle tient pour anecdotique un élément essentiel : la situation financière désastreuse de la compagnie « belge » est tout sauf le fait du hasard ou de circonstances exceptionnelles ; elle trouve son origine dans le pillage systématique auquel se sont livrés les Suisses entre 1995 et 2001 avec, fait aggravant, l’aval feutré du conseil d’administration.
En n’exerçant pas son rôle d’organe de contrôle du comité de direction[1], le conseil d’administration a entériné le renouvellement de la flotte moyen courrier sans moyens financiers suffisants puisqu’il n’a pas demandé « qu’une vue d’ensemble du financement global lui soit donnée[2]» et ne « sollicitera pas l’accord des actionnaires quant à un achat aussi important comme l’y autorise pourtant les lois coordonnées sur les sociétés commerciales[3]».
Les responsabilités civile et pénale restent encore à établir, mais qu’en est-il de la responsabilité politique ? Que la commission parlementaire ait acté le « laisser-faire » (quel euphémisme !) de l’Etat belge « qui ne demandait pas mieux que la Sabena soit dirigée par Swissair[4] », même si elle n’était qu’actionnaire minoritaire, ne doit pas occulter le fait que les Suisses ont pu se comporter comme des prédateurs avides pendant des années sans que quiconque ne se soucie de les en empêcher.
Dans un monde où les parts de marché et l’intérêt financier à court terme prévalent, peut-on attendre d’un agent économique, la direction de Swissair en l’occurrence, qu’il agisse autrement qu’en prédateur ? Ne reprochons donc pas au loup de s’attaquer aux moutons, mais qu’en est-il du berger qui laisse la porte de la bergerie ouverte ou, pire encore, invite le loup à faire bombance ?
Une étude critique de la gouvernance d’entreprise dans l’histoire de la Sabena met en évidence la détermination de Swissair à jouer un rôle de premier plan dans la destinée de la Sabena ; elle se fonde sur l’exécution d’un plan, déjà connu sous le nom de sterfhuisconstructie[5] (le mouroir), et qui consistait à liquider les parties non rentables de l’entreprise pour ne conserver que les plus rémunératrices. Il est alors aisé de comprendre que le défaut d’exécution de la convention n’est qu’un épiphénomène qui s’inscrit dans une stratégie mûrie depuis 1996 et qui implique nécessairement la disparition de la Sabena[6].
Sans les événements tragiques du 11 septembre 2001 et la propre faillite de Swissair, ce funeste projet devait se réaliser en 2002, Swissair étant alors devenu actionnaire majoritaire, ce qui dégageait la responsabilité des anciens dirigeants, devenus des fossoyeurs occultes.
Concluons : d’une part, la condamnation de Swissair n’épuise nullement la question de la responsabilité réelle de la faillite de la Sabena. D’autre part, on peut se perdre en conjectures à propos des obstacles qui retardent toujours la tenue d’un procès à même de nous éclairer sur l’ensemble des responsabilités. Il ne reste donc qu’à espérer que « le délai raisonnable » ne sera pas dépassé, rendant caduque toute possibilité de demander des comptes aux vrais responsables.
(1) ALLE, M ; « Sabena, faillite évitable ? Elaboration d’un business plan », éditions de l’université libre de Bruxelles, 2004
(2) Enquête de la commission parlementaire DOC 50 1514/003
(3) Idem
(4) Idem
(5) GODEFROID, P ; « A la recherche du temps et de l’argent perdus », éditions Racine, Bruxelles, 1996