Le vol AF 342 Paris-Montréal était-il vraiment le " premier " vol long-courrier avec du biocarburant ?

L’opération a été un franc succès, de très nombreux médias et sites web en ont parlé, surtout en France et au Canada, mais pas seulement, avec des titres tels que " Air France carbure à la friture " (Le Point), " Air France réalise son premier vol long-courrier avec de l’huile de cuisson " (BFM TV), " Expérimentation du premier vol long-courrier avec du biocarburant " (Environnement-magazine.fr) ou encore " Paris-Montréal avec de la vieille huile de friture " (lapresse.ca). De quoi susciter, au minimum, un peu de curiosité.

 

Dans les réservoirs de l’Airbus A350 d’Air France qui a décollé de Paris en direction de Montréal ce 18 mai à 15h40, il n’y avait donc pas que du kérosène, le carburant traditionnel de l’aviation : il y avait aussi 16% de "carburant aérien durable", produit, selon le communiqué de presse, à partir d’huiles de cuisson usagées. Dans le langage de l’aviation, il est question de SAF, pour "sustainable aviation fuel". Cet ajout de 16% de biocarburant dans les réservoirs de l’avion a permis d’éviter l’émission de 20 tonnes de CO2.

 

Dans leur communiqué commun titré "Air France-KLM, Total, Groupe ADP et Airbus se mobilisent pour la décarbonation du transport aérien et réalisent le premier vol long-courrier avec du carburant aérien durable (SAF) produit en France ", les quatre groupes français expliquent que "ce vol concrétise l’ambition commune des quatre groupes de décarboner le transport aérien et de développer une filière française de production de carburants aériens durables, prérequis indispensable à la généralisation de leur utilisation dans les aéroports français".

Cela fait pourtant quelques années que le secteur aérien s’intéresse à un carburant plus " vert ", parmi lesquels on retrouve aussi l’hydrogène.

 

Les premiers vols passagers en… 2009

 

L’expérience du biocarburant aérien est donc loin d’être neuve, les premiers tests remontent à 2008, 2009 pour les vols passagers, et tous les essais ont démontré que l’utilisation d’un tel carburant n’a aucune incidence sur la fiabilité des opérations. Il faut préciser que ce " carburant aérien durable " peut être incorporé dans les réservoirs des avions sans qu’aucune modification ne doive être apportée ni aux infrastructures logistiques de stockage et de distribution, ni aux avions, ni aux moteurs.

Près de 40 compagnies, dont KLM, SAS, Lufthansa, United Airlines, American Airlines, Quantas Cathay Pacific en utilisent d’ailleurs régulièrement aujourd’hui. Elles peuvent en trouver dans quelques aéroports comme Oslo, Stockholm, Munich ou Londres de ce côté-ci de l’Atlantique mais aussi Los Angeles, San Francisco, Chicago, Toronto, Montréal ou encore Brisbane en Australie. Et comme le précise un dossier réalisé par l’OACI (organisation de l’aviation civile internationale), la compagnie néerlandaise KLM a réalisé ses premiers vols avec du biocarburant en 2012 vers le Brésil avant d’instaurer un vol hebdomadaire entre Amsterdam et New York en 2013.

La "première" du vol AF 342 entre Paris et Montréal, c’est que c’était le tout premier vol long-courrier utilisant du biocarburant produit en France. C’est écrit dans le communiqué, mais tout le monde n’a pas forcément compris la nuance…

 

Trois questions à Waldo Cerdan, expert aéronautique

 

Au-delà de la communication, que représente réellement ce vol long-courrier ?

"Qu’il est possible de faire voler un avion avec autre chose que du kérosène et, ainsi, de réduire l’empreinte carbone de transport aérien. Mais même si la direction est bonne, force est de constater que cela reste marginal. Le problème, c’est qu’il n’existe pas vraiment une seule solution, ou plutôt un seul type de carburant qui pourrait être produit et utilisé par toute la flotte mondiale, ni même européenne".

 

Le " carburant aérien durable " est-il LA solution ?

"Non. Tout d’abord, il faut savoir que le caractère "durable" d’un carburant ne dépend pas de sa nature ou de l’origine du carburant, mais de l’usage qui en fait ou plutôt du prélèvement à la source qui, elle, doit nécessairement être renouvelable. Du carburant produit à partir de biomasse, qui par nature est renouvelable, ne peut être considéré comme durable qui si les prélèvements pour le produire ne dépassent pas les capacités de l’écosystème à se renouveler.

 

Certes, il faut favoriser le développement des carburants alternatifs, mais toute la question, sous l’angle d’une possible solution globale, dépend de l’énergie que nous sommes prêts à allouer aux voyages en avion sachant que les ressources ne sont pas infinies. Donc, dire d’un carburant qu’il est durable ne veut rien dire ce qui l’exclut de facto comme LA solution".

 

A partir de 2030, l’Union européenne imposera de 5% de " carburant aérien durable " (SAF). Est-ce réaliste et praticable ?

"Tout dépend de la priorité qui sera accordée au transport aérien par rapport à d’autres secteurs industriels. Le potentiel européen de production de carburants alternatifs donc avec une empreinte carbone plus faible, car elle n’est jamais nulle, est inférieur aux besoins en énergie, de manière globale.

 

Sachant que la croissance du trafic aérien est, en moyenne (hors " Covid ") de 5% par an et que l’Europe ambitionne de réduire de 50% les émissions de GES, dans le transport aérien, par rapport au niveau de 2005, on comprend que cette obligation d’usage de 5% de SAF en 2050 ne fait que donner la direction du camp de base situé aux pieds de l’Everest ; il nous faudra encore le gravir".

 

L’épineuse question de la concurrence avec les compagnies aériennes basées en dehors de l’Europe n’a pas encore été tranchée. Sans doute de nouveaux bras de fer en perspective.