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Canicule & Climat : pendant qu’on boit frais, on continue de brûler l’avenir!

Hier matin encore, la météo nationale alertait(1) : il va faire chaud, très chaud. Canicule en vue. Comme à chaque fois, on ressort les conseils de bon sens : boire régulièrement, éviter les efforts aux heures chaudes, protéger les personnes âgées.

Mais juste après, une information autrement plus cruciale est évoquée du bout des lèvres : selon une étude scientifique (2) parue en juin 2025, le budget carbone mondial compatible avec une hausse de température limitée à 1,5 °C pourrait être épuisé… dans trois ans.

Trois ans. Pas trente. Trois. Et personne ne semble s’en émouvoir. Ni gouvernement, ni opposition, ni médias — si ce n’est, discrètement, en pages intérieures de la rubrique « Planète ». Comme si l’on annonçait une météo mitigée pour le week-end.

La dernière évaluation officielle du GIEC (rapport AR6, 2021) estimait qu’il restait, début 2020, 300 gigatonnes de CO₂ à émettre pour conserver 83 % de chances de rester sous +1,5 °C(3). Aujourd’hui, ce budget se réduit à 130 GtCO₂ pour une probabilité de 50 %, et à 80 GtCO₂ pour 66 %. (Ne parlons même pas du budget restant à 83 % de chances.) Avec un rythme d’émission mondial de 40 GtCO₂/an (4), le seuil sera franchi entre 2027 et 2028. Et pourtant, aucune alarme ne sonne. On préfère parler de « vague de chaleur » comme d’un simple épisode estival, alors que c’est un crash climatique qui s’annonce.

Imaginez : un pilote d’avion constate une perte massive de carburant avant de survoler l’Himalaya. Il déclare une situation de détresse, ce qui signifie danger immédiat, mobilisation totale des services, priorité absolue à la survie.

Mais face à une perte annoncée du budget carbone mondial, nous répondons par des campagnes de sensibilisation à l’usage raisonné de la climatisation, des conseils pour s’hydrater, et des rappels à éviter les efforts physiques pendant les heures chaudes.

Le monde marche sur la tête!

Organiser une énième COP30 dans une capitale tropicale climatisée n’a plus grand sens. Il faudrait plutôt mettre sur pied une convention climatique permanente, avec un mandat d’urgence, capable d’intégrer les réalités physiques (et non diplomatiques) dans les évaluations et les décisions politiques.

Une gouvernance d’urgence planétaire, affranchie des inerties électoralistes et idéologiques, pilotée par des esprits lucides, centrée sur la résolution des écarts flagrants entre l’impératif climatique, le potentiel technologique, et la faisabilité réelle — plutôt que sur des mantras creux du type « tripler le renouvelable et doubler l’efficacité énergétique (5) ». 

 

Car oui, il faudra bien, tôt ou tard, dépasser le mantra de la croissance verte. Repenser nos usages, nos besoins, nos récits. Et, en un mot, se poser enfin la vraie question : que nous faut-il pour nous épanouir collectivement dans un monde contraint ? Cela suppose de révolutionner notre rapport au monde — au sens copernicien du terme : cesser de nous croire au centre, cesser de croire à l’illimité.

La Belgique, comme tant d’autres, brille par ce qu’elle n’a pas : ni lucidité, ni courage politique, ni pédagogie, ni charisme. Pas de plan hydrique d’ampleur, aucune réflexion systémique sur les usages énergétiques, pas même un affichage public du niveau de risque climatique. Et pourtant, il suffirait de peu pour commencer à gouverner autrement:

- mettre en place un tableau de bord carbone en temps réel, accessible à tous ;

- favoriser une sobriété assistée intelligemment (capteurs, feedbacks, visualisations) dans les bâtiments publics et privés ;

- réorienter les investissements publics vers la résilience, et non exclusivement vers la croissance verte.

 

Mais ici aussi, c’est le règne de l’absurde : à la question posée au cabinet de la Ministre de l’Environnement, Céline Tellier, sur la mise en place de compteurs intelligents d’eau pour mieux gérer la ressource, notre consommation, la réponse fut aussi polie que vide — en résumé : « non, car RGPD (6) ».

Et à celle posée au ministre du Climat, Philippe Henry (7) concernant la possibilité, pour un citoyen équipé d’un compteur électrique dit « intelligent », de suivre sa consommation en temps réel… il n’y eut tout simplement aucune réponse. Silence radio. Comme si la reddition de comptes n'était qu'une option face à un risque systémique.

La question qui découle naturellement de ces deux interpellations est brutale : existe-t-il encore quelque chose que l’on puisse appeler gouvernance politique ?

 

Il est encore temps d’éviter le pire. Mais il ne sera bientôt plus temps d’éviter l’inévitable. Et pendant que les stocks de ventilateurs s’épuisent en grandes surfaces, pendant qu’on nous sert des conseils d’un paternalisme affligeant, le budget carbone mondial, lui, fond sans retour possible.

Alors oui, buvons de l’eau fraîche. Mais n’oublions pas que ce que nous sommes en train de brûler, ce n’est pas notre confort, c’est notre avenir.

Alors, à celles et ceux qui, les bras levés au ciel, s’apprêtent à crier « Morts aux alarmistes et pessimistes ! (8)», je conseille la lecture d’un court texte intitulé :
« Entre le pessimisme morbide et la béatitude bovine, quelle place reste-t-il pour la lucidité ? » On y découvre, à tout le moins, que pessimisme et défaitisme ne sont pas synonymes, et qu’un combat n’est jamais perdu tant qu’on n’a pas choisi d’y renoncer. Ou qu’on n’est pas mort.

 

(1) RTBF, Le Journal, La Première, 19/05/2025

(2) Rössler et al., Earth System Science Data, 2025.

(3) PCC, AR6 Synthesis Report, 2021.

(4) Global Carbon Project, 2023.

(5) Extrait de l’allocution de Charles Michel à l’ouverture de la COP 28. Celui est piquant, c’est que cette phrase se retrouve dans la conclusion de la COP28. Ce qui veut dire que le Président du Conseil de l’Europe a inspiré les participants, ou alors, c’est un hasard?!

(6) Échange épistolaire avec le cabinet de la Ministre Céline Tellier, avril 2023.

(7) Lettre ouverte à Philippe Henry, Vice-Président et Ministre du Climat, de l’Énergie et de la Mobilité – texte complet accessible sur : https://www.waldocerdan.com/2022/12/14/lettre-ouverte-a-philippe-henry-vice-pre-sident-et-ministre-du-climat/

(8) Speech de Alexandre Decroo, 78è Assemblée des Nations unies, 2024