Waldo Cerdan
17 août 2025
On a présenté la rencontre d’Anchorage, en Alaska, comme « extraordinaire ». Trump et Poutine réunis sous un titre évocateur : Pursuing Peace. Sur le papier, c’était noble : parler de la guerre en Ukraine, envisager une sortie de crise. Dans la réalité, c’était tout autre chose. L’Ukraine n’a probablement occupé que quelques minutes de conversation sur trois heures de tractations. Le reste ? Des marchandages : un Trump en quête de bénéfices électoraux et commerciaux ; un Poutine qui rêve d’un blanc-seing sur sa propre guerre, qu’il a lui-même déclenchée au nom d’une soi-disant « défense préventive » contre l’OTAN. Comme si un pays qui s’étend sur onze fuseaux horaires pouvait sérieusement prétendre être « encerclé ».
Qu’est-ce qu’un “deal” ?
Il faut s’arrêter sur ce mot que Trump brandit comme une bannière : le deal. Ce n’est pas une invention géniale, encore moins une philosophie. Dans la littérature sur la négociation internationale (Profession : négociateur), on distingue deux logiques :
La logique du résultat : rapide, asymétrique, souvent injuste. Elle produit un effet immédiat, mais fragile, parce que fondé sur le rapport de force.
La logique de la procédure : longue, exigeante, fondée sur la recherche d’équité et de valeurs communes. Elle seule permet d’aboutir à une paix durable.
Trump n’a jamais connu que la première : le résultat immédiat, la victoire rapide, la photo clinquante. Pourquoi ? Pour deux raisons essentielles :
- D’abord parce que la logique de la procédure lui est inaccessible. Elle demande de la patience, de l’humilité, un véritable effort intellectuel. Elle exige de travailler avec des valeurs, de supporter la lenteur des discussions, de composer avec des points de vue contradictoires. Or Trump ignore tout cela. Ce n’est pas un homme intelligent au sens classique du terme : c’est un homme malin, un flair. Il sait repérer l’animal blessé, il sait où frapper, il sent le coup rapide. Mais la complexité d’un processus délibératif, la rigueur d’une négociation équilibrée, lui échappent totalement.
- Ensuite parce que, quand on est le plus fort, il est plus simple d’imposer qu’on a “gagné”. Président du pays le plus puissant du monde, chef d’une armée dotée de milliers d’ogives nucléaires, Trump n’a jamais eu besoin de faire preuve de finesse : il lui suffit de brandir la menace, de tordre des bras, d’imposer une capitulation. Et cela lui permet ensuite de vendre l’illusion d’un succès diplomatique.
Le résultat existe, certes, mais il n’est ni juste ni durable. Il n’est qu’un vernis posé à la va-vite sur un mur fissuré.
Le deal comme concours de pizza
Trump ne veut pas bâtir la paix. Il veut juste obtenir un trophée. On se souvient de son obsession pour le Prix Nobel de la Paix, qu’il semble considérer comme une récompense de foire. Or un Nobel n’est pas un concours auquel on s’inscrit : c’est la reconnaissance d’une œuvre. Mandela, Aung San Suu Kyi, Desmond Tutu n’ont pas « cherché » un Nobel : ils ont œuvré pour la paix, et le monde l’a reconnu.
Trump, lui, aborde la paix comme un pizzaiolo en compétition. Il ne s’agit pas de nourrir, mais de briller. Sa « pizza de paix » doit être la plus belle, la plus clinquante, la plus instagrammable. Peu importe si elle est bourrée d’additifs, indigeste, ou toxique. Ce qui compte, c’est qu’elle brille sous les projecteurs.
Le deal comme posture de faible
On pourrait croire à de la force. C’est en réalité de la faiblesse. Trump incarne le prototype même du protozoaire mutant égocentré : un être faible qui cherche à paraître grand en se greffant aux forts. À l’école, il aurait été le gamin chétif qui s’acoquine avec le caïd de la cour pour paraître invincible. Devenu président des États-Unis, il s’est retrouvé à la tête de la première puissance mondiale : il lui suffit donc d’imposer pour donner l’illusion de courage. Mais il n’y a là ni grandeur ni bravoure : seulement un instinct de survie politique travesti en héroïsme.
Le silence européen
Reste une question lancinante : où sont les voix européennes ? Où sont les dirigeants capables de dire publiquement : « Assez de cette mascarade » ? Au lieu de cela, silence radio. Ou pire : la flagornerie. On se souvient de Mark Rutte, ancien premier ministre néerlandais, qui, lors d’un sommet de l’OTAN, se livrant spontanément à des flatteries dignes d’un Don Saluste dans La folie des grandeurs : « Blase, flattez-moi ». Trump n’a même pas eu besoin de demander : Rutte l’a flatté spontanément.
Ce silence est une lâcheté. Pendant que Trump répète que « ce sont les Ukrainiens qui ont commencé la guerre » et que Poutine maquille son agression en « défense préventive », l’Europe se tait. Obsédée par ses élections internes, paralysée par ses petits calculs, elle se contente de regarder le spectacle, comme un valet qui rit aux blagues du roi.
Démystifier le deal
Il est urgent de briser cette fascination pour le mot « deal ». Un deal n’est pas une paix. Ce peut être une capitulation, une arnaque, un racket. Derrière l’étiquette, on retrouve la logique mafieuse : deux parrains qui s’accordent sur le partage du territoire.
Ce n’est pas « The Art of the Deal », mais « The Science of the Racket ».
Et ce n’est sûrement pas la paix.